
Interview de Timba Bema, auteur de La maladie sans nom

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Dans cet entretien, Timba Bema dévoile comment un dictionnaire encyclopédique et Kafka ont façonné sa vocation littéraire. Il aborde avec franchise les défis d’écrire depuis un personnage féminin, Nyango, et explore sereinement son métissage culturel entre le Cameroun et d’autres influences. Enfin, il évoque avec pudeur les cicatrices de « La maladie sans nom », thème central de son œuvre.
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Interview de Colinette Haller
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1. Quel a été le déclic pour vous orienter vers la voie poétique de l’écriture ?
Il n’y a pas eu un déclic unique, mais un objet précis a joué un rôle considérable dans la fécondation de mon imaginaire : un dictionnaire encyclopédique Larousse qui appartenait à ma mère et qui, par la force des choses, était devenu ma propriété exclusive. Je passais des heures à le lire, couché sur le tapis du salon, enthousiaste à l’idée d’apprendre de nouveaux mots. Je réfléchissais longuement à leur définition, leur étymologie, les recopiant sur des feuilles sans but précis, sinon celui de me confronter à eux. Pourtant, je préférais les pages consacrées aux grands hommes. Bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’Africains mentionnés, les quelques informations disponibles sur tel compositeur, écrivain, général ou politicien me permettaient d’imaginer leur vie. Plus tard, à l’adolescence, la lecture du « Procès » de Kafka fut mon véritable déclic : dès lors, j’ai su que je voulais écrire.
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2. Comme écrivain masculin, quelle difficulté avez-vous rencontrée à décrire des personnages féminins ?
C’est une question très pertinente, qui peut, poussée à l’extrême, questionner la légitimité de la voix que je donne à mon héroïne Nyango. Un homme peut-il réellement parler au nom et à la place d’une femme sans reproduire la domination historique des femmes par les hommes ? Je ne prétends pas qu’un écrivain puisse tout écrire, ni que la sensibilité abolit automatiquement les barrières de genre. Je préfère partir de mon vécu : ayant grandi entouré de femmes, ma mère et ses sœurs, j’ai passé mon enfance à écouter leurs histoires. Curieux par nature, j’ai été naturellement porté à mieux comprendre leur univers. Ensuite, je n’ai pas consciemment choisi une héroïne féminine pour « La maladie sans nom ». Nyango s’est imposée à moi, sa voix étant si claire que je me suis simplement laissé guider par elle.
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3. En tant que métis, comment vivez-vous votre brassage culturel entre le Cameroun et vos autres identités de sang et de cœur ?
Je ne revendique pas être métis, je le suis tout simplement. Dans mon cas, il existe d’abord un métissage biologique, car un de mes aïeuls paternels était allemand, rappelant que le Cameroun fut colonie allemande de 1884 à 1919. Ensuite, vient un métissage culturel, puisque le duala que je suis parle aussi français et anglais, me rendant perméable à différentes manières d’appréhender le monde. Le métissage est selon moi un processus naturel de l’histoire humaine lié aux migrations, aux rencontres, aux amours, mais aussi aux conflits. De ces échanges découle une sorte d’insémination mutuelle des âmes. Je vis ce brassage culturel avec sérénité, car je me définis avant tout comme un duala. C’est ma racine centrale, autour de laquelle gravitent toutes mes autres influences.
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4. Avez-vous été victime de « La maladie sans nom », et comment l’avez-vous surmontée ?
La maladie sans nom a ceci de particulier qu’elle vous dépossède de votre corps, de votre âme, de vos rêves et de votre futur. Elle vous évacue littéralement de votre existence, vous transformant en une sorte de larve marquée du sceau de la défaite et de l’humiliation. Pour la surmonter, il faut d’abord se réapproprier son corps, l’investir à nouveau de ses propres valeurs, et surtout se réconcilier avec son histoire, aussi bien la grande que la petite.
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5. Quelles autres thématiques souhaitez-vous explorer dans vos prochains livres ?
Je travaille actuellement sur d’autres projets littéraires dont j’espère qu’ils aboutiront bientôt. Mais permettez-moi, pour l’instant, de garder confidentielles les thématiques que j’y explore.